L'histoire des deux fils d'Adam : Une clé pour comprendre notre époque.
- ecmbordeaux
- 3 août
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Dernière mise à jour : 4 août
Dans ce voyage à l'intérieur du Coran, et à travers le dialogue entre Louisa, Yassir et leur professeur Jassim, nous plongeons dans cette histoire fondatrice. Une histoire de liberté, de jalousie, de silence… mais aussi de responsabilité. Une question guide leur échange : Et si, pour espérer contribuer à monde meilleur, il fallait d’abord comprendre ce qui a abîmé l’homme dès l’origine ?
Louisa : Professeur, Pourquoi le Coran nous présente-t-il, parmi ses tout premiers récits, une histoire aussi tragique que celle du meurtre entre les deux fils d’Adam ?
Professeur Jassim : C’est une très bonne question.
En effet, ce récit est relaté dans la sourate 5 verset 27 : {Et raconte-leur en toute vérité l’histoire des deux fils d’Adam. Les deux offrirent des sacrifices; celui de l’un fut accepté et celui de l’autre ne le fut pas. Celui-ci dit : "Je te tuerai sûrement ."."Allah n’accepte, dit l’autre, que de la part des pieux.}
وَٱتْلُ عَلَيْهِمْ نَبَأَ ٱبْنَىْ ءَادَمَ بِٱلْحَقِّ إِذْ قَرَّبَا قُرْبَانًۭا فَتُقُبِّلَ مِنْ أَحَدِهِمَا وَلَمْ يُتَقَبَّلْ مِنَ ٱلْـَٔاخَرِ قَالَ لَأَقْتُلَنَّكَ ۖ قَالَ إِنَّمَا يَتَقَبَّلُ ٱللَّهُ مِنَ ٱلْمُتَّقِينَ
Le Coran ne raconte pas cette histoire au hasard. Ce meurtre, le premier dans l’histoire humaine, est bien plus qu'un drame familial.
C’est une mise en garde ! Et il nous montre ce que l’homme est capable de faire lorsqu’il oublie sa mission, lorsqu’il laisse la jalousie, la colère ou l’orgueil guider ses actes.

Yassir : Que devait faire l’homme selon le Coran ? Et quelle est cette mission oubliée exactement ?
Professeur Jassim : L’homme n’a pas été créé simplement pour vivre, mourir et se reproduire. Il a été chargé d’une mission : Le Coran le décrit comme un « khalife » sur Terre : c’est-à-dire un bâtisseur et un protecteur de la vie. Un être qui a été créé pour répandre la justice, et agir avec miséricorde envers toute la création. {Lorsque Ton Seigneur confia aux Anges: Je vais établir sur la terre un Khalîfa.}(2:30)
وَإِذْ قَالَ رَبُّكَ لِلْمَلَـٰٓئِكَةِ إِنِّى جَاعِلٌۭ فِى ٱلْأَرْضِ خَلِيفَةًۭ ۖ
Louisa : Je me souviens ! Mais les anges eux-mêmes semblaient douter de cette mission, non ?
Professeur Jassim : Exactement. Les anges n’ont pas caché leur angoisse et leur inquiétude, et ils se sont adressés à Dieu en disant : {Vas-tu y placer quelqu'un qui y sèmera la corruption et répandra le sang ? Alors même que Te glorifions et chantons Tes louanges !}(2:30)
قَالُوا أَتَجْعَلُ فِيهَا مَن يُفْسِدُ فِيهَا وَيَسْفِكُ الدِّمَاءَ وَنَحْنُ نُسَبِّحُ بِحَمْدِكَ وَنُقَدِّسُ لَك
Dieu leur a répondu : « Je sais ce que vous ne savez pas. » Et pour prouver la dignité de l’homme et sa capacité à remplir sa mission, Dieu a enseigné à Adam les noms de toutes choses.
وَعَلَّمَ ءَادَمَ ٱلْأَسْمَآءَ كُلَّهَا
Sans les mots, on ne peut réfléchir. Donc ce n’était pas seulement une leçon de vocabulaire, mais cela signifie que Dieu a doté l'être humain d'un immense potentiel : Une intelligence, un langage, une conscience et une capacité à relier les choses entre elles.
Grâce à ces facultés, l’homme peut comprendre le monde, réfléchir, distinguer entre le bien et le mal, résoudre des problèmes, construire la paix et combattre la corruption.
Yassir: Si je comprends bien, Dieu a fait confiance à l'homme et a misé sur sa capacité à faire le bien, tout en le laissant libre ... libre de commettre le pire ?
Professeur Jassim : C’est exactement cela. L’homme est libre. Et cette liberté peut produire le meilleur… comme elle peut produire le pire. L’histoire de Qabil, qui tue son frère par jalousie, en est un exemple. Il aurait pu s’améliorer, mais il a préféré détruire celui qui lui faisait de l’ombre. {Son âme l’incita à tuer son frère. Il le tua donc et devint ainsi du nombre des perdants.}(5:30)
فَطَوَّعَتْ لَهُۥ نَفْسُهُۥ قَتْلَ أَخِيهِ فَقَتَلَهُۥ فَأَصْبَحَ مِنَ ٱلْخَـٰسِرِينَ
Louisa : Il ne s’agissait pas d’un conflit de territoire, ou d’une menace réelle ?
Professeur Jassim : Non, c’est cela qui rend le geste encore plus grave. Ce n’était pas de la légitime défense. Ce n’était même pas une réponse à une agression. C’était un refus de voir l’autre réussir là où lui avait échoué. C’est ce qu’on peut appeler de la "cruauté gratuite" : éteindre la lumière de l’autre, plutôt que d’allumer la sienne.
Yassir: On peut donc dire que, dès la toute première génération humaine, les inquiétudes des anges se sont confirmées ?
Professeur Jassim : Tout à fait, l’homme, pourtant créé pour bâtir et faire le bien, a très vite cédé à la jalousie, à la violence… trahissant ainsi sa mission.
Louisa : Et le corbeau ? Pourquoi cet animal apparaît dans le récit ?
Professeur Jassim : C’est un rappel poignant . Qabil tua son frère et ne sachant quoi faire avec le corps, Dieu envoya un corbeau qui est venu lui apprendre comment enterrer le corps de son frère et préserver sa dignité.
فَبَعَثَ اللَّهُ غُرَابًا يَبْحَثُ فِي الْأَرْضِ لِيُرِيَهُ كَيْفَ يُوَارِي سَوْءَةَ أَخِيهِ
Ce corbeau vient réveiller en Qabil ce qui restait de son humanité !
Mais il était trop tard.
Le chagrin ne quitta plus jamais son coeur, Qabil s'est dit {"Malheur à moi! Suis-je incapable d’être, comme ce corbeau, à même d’ensevelir le cadavre de mon frère ?" Il devint alors du nombre de ceux que ronge les remords.} (5:31)
يَـٰوَيْلَتَىٰٓ أَعَجَزْتُ أَنْ أَكُونَ مِثْلَ هَـٰذَا ٱلْغُرَابِ فَأُوَٰرِىَ سَوْءَةَ أَخِى ۖ فَأَصْبَحَ مِنَ ٱلنَّـٰدِمِينَ
Louisa : Professeur Jassim… Aujourd'hui avec ces guerres qui se multiplient; cette cruauté gratuite qui se banalise et cette violence froide et méthodique qui se normalise, peut-on encore faire confiance à l'humain ?
Professeur Jassim (regardant ses élèves avec douceur mais gravité) : Non, Louisa. Le Coran nous dévoile la réalité dérangeante de l'humain. Il nous rappelle que cette cruauté a toujours existé.
Souvenez-vous du Pharaon : par peur de perdre son pouvoir, il n'a pas hésité à ordonner de tuer les fils d’un peuple entier: les enfants d'Israël : « Il égorgeait leurs fils et laissait vivantes leurs femmes. Il était vraiment parmi les corrupteurs. »(28:4)
﴿ يُذَبِّحُ أَبْنَاءَهُمْ وَيَسْتَحْيِي نِسَاءَهُمْ ۚ إِنَّهُۥ كَانَ مِنَ ٱلْمُفْسِدِينَ ﴾
Souvenez-vous d’Abou Jahl, un des grands notables Mecquois, qui par orgueil tribal, tortura Yassir puis transperça le cœur de sa mère Soumya, simplement parce qu’elle refusait de renoncer à l'islam.
Le Coran nous enseigne que Dieu a donné à l’homme les clés de la connaissance, la conscience du juste et la force d’agir.
Il ne l'a pas créé pour l’échec, mais pour l’élévation.
Et on le voit malgré cette noirceur, l'homme garde toujours cette capacité de bâtir et de faire le bien.
Alors oui, on peut encore faire confiance à l’humain…Mais pas à n’importe quel humain. Seulement à celui qui choisit de rester debout, de dire non à l’injustice, de soigner plutôt que blesser, de pardonner plutôt que se venger.
Le mal, Louisa, ne recule devant rien… mais ce qui scandalise vraiment, ce n’est pas seulement la violence du mal, c’est surtout le silence du bien.
Yassir : Je comprends, Professeur, comment le mal peut naître dans le cœur d’un individu… Mais ce que je ne comprends pas, c’est comment il peut devenir tellement banal que tout le monde finit par le trouver normal.
Professeur Jassim (hochant la tête lentement, le regard profond) : Tu poses une question essentielle, Yassir…Oui, le mal commence souvent dans un cœur blessé, corrompu ou envahi par la jalousie et l'arrogance.
Mais ce n’est pas sa naissance qui le rend si dangereux. Ce qui lui permet de s’étendre, c’est le silence de la majorité. L'inaction de ceux qui savent et qui voient clair, mais préfèrent détourner le regard. Par peur d’être mal vus, par peur d’être exclus, ou tout simplement pour préserver leur confort personnel , ils se disent :« Ce n’est pas mon problème. » Et c'est justement, ce simple repli, cette indifférence ordinaire qui ouvre la porte aux pires dérives.
Louisa (le cœur serré) : C’est ce qui s’est passé dans l’Histoire ?
Professeur Jassim : Oui… Regarde la Saint-Barthélemy en France, la Shoah en Europe, la Grande Guerre avec ses soixante millions de morts, Hiroshima et Nagasaki avec plus de deux cent milles morts en un instant. A l'origine de ces drames, des gens « ordinaires » qui ont préféré se taire face aux discours haineux. Des voisins, des collègues, des citoyens… qui n'ont pas osé dire non aux agitateurs radicalisés, et parfois des croyants sincères, qui ont détourné les yeux pensant que prier suffisait.
Le mal ne triomphe pas parce qu’il est fort. Il triomphe quand le bien s’endort. Quand les cœurs deviennent insensibles. Quand les consciences s’habituent à l’inacceptable. Quand chacun pense que c'est à l'autre d'agir.
Yassir (pensif) : Mais alors… que dit le Coran à ce sujet ?
Professeur Jassim (souriant avec gravité) : Le message du Coran est clair : il appelle les consciences à coopérer pour construire un monde plus juste, plus digne, et plus miséricordieux. Et cette responsabilité le Coran la confie à l'humanité toute entière, au delà des frontières et des appartenances religieuses. Il est dit dans la sourate 57 verset 25 :
« Nous avons envoyé Nos messagers avec des preuves claires, et fait descendre avec eux le Livre et la Balance, afin que les gens établissent la justice. » Il n’est pas dit «afin que les musulmans établissent la justice », mais bien « afin que les gens établissent la justice. ». Toute l’humanité est donc concernée.
Donc si tu veux vraiment t’approcher de Dieu, commence par défendre la dignité de chaque être humain que Dieu a créé, car il est un principe de l'héritage abrahamique que le Coran est venu pour confirmer et raviver : sauver une vie humaine, c’est comme sauver l’humanité entière : « Quiconque tue une personne, non coupable d’un meurtre ou de corruption sur la terre, c’est comme s’il avait tué toute l’humanité. » (5:32)
مَن قَتَلَ نَفْسًا بِغَيْرِ نَفْسٍ أَوْ فَسَادٍ فِي الْأَرْضِ فَكَأَنَّمَا قَتَلَ النَّاسَ جَمِيعًا
Le monde n’a pas besoin de sermons, ni de leçons de morale. Il a besoin d’une boussole, d’une conscience vivante et d’une miséricorde active.
Louisa (d’une voix émue) : Mais professeur… que pouvons-nous faire, nous, face à un monde aussi brisé ? Est-ce qu’on n’est pas trop petits, trop faibles… pour espérer changer quelque chose ?
Professeur Jassim (avec un sourire rassurant) : Louisa, tu sais… c’est toujours une petite flamme qui illumine la nuit. Ce n’est pas la taille de l’action qui compte, c’est sa sincérité, sa justesse, sa constance.
Regarde les Prophètes : ils ont commencé seuls. Avec une parole. Une prière. Un geste. Ils n’ont pas attendu d’être nombreux. Ils ont commencé… et Dieu a donné fécondité à leurs pas.
Notre religion est une réparation de la première trahison : celle de l’homme envers sa mission.
Rappelons-nous la communauté des premiers musulmans, conduite par le Prophète ﷺ. Ces hommes et femmes ont été persécutés, chassés de leur ville natale, humiliés, combattus à Badr, à Uhûd, et à la bataille du Fossé (al-Khandaq). Et pourtant…Quand le Prophète ﷺ entre victorieux à La Mecque, après toutes ces années de souffrance, il fait face à ceux-là mêmes qui l’avaient rejeté, insulté, blessé, et combattu.
Il aurait pu se venger. Il aurait pu faire payer. Mais il leur pose simplement cette question :« Que pensez-vous que je vais faire de vous ? »Ils répondent, honteux mais confiants :« Du bien. Tu es un noble frère, fils d’un noble frère. » Et là, il leur dit cette parole historique :« Partez… vous êtes libres. »
« اذهبوا فأنتم الطلقاء »
C’est cela l’esprit de notre foi : la miséricorde plus forte que la vengeance et la justice éclairée par le pardon.
Yassir : Professeur, dans ce contexte, quel rôle devons-nous jouer, nous musulmans de France ? Car il me semble que ce projet divin " Miséricorde pour la création " reste largement absent de nos discours religieux.
Professeur Jassim : Tu mets le doigt sur quelque chose de fondamental, Yassir…Ce projet de Rahma pour la création, ce projet de miséricorde, est pourtant au cœur du Coran. Ce projet n’est pas un simple slogan. C’est une feuille de route. Un engagement envers soi, envers les autres, et envers le monde.
Ton rôle, Yassir… et à tous les jeunes musulmans de France, est de raviver ce projet. Pas uniquement dans les mots. Mais dans le cœur, dans l’action, dans la présence.
Vous n’êtes pas juste là pour corriger des erreurs de dogme ou faire la police des rites. Vous êtes une communauté témoin. Pas pour juger, mais pour rappeler à l'humanité que la vie a un sens. Pas pour dominer mais pour montrer qu’un autre monde est possible. Un monde plus juste. Plus fraternel.
Le plus aimé par Dieu, dit le Prophète, est le plus utile à ses semblables.
أحبُّ الناس إلى الله أنفعهم للناس
Et cela commence par chacun de vous. En choisissant la justice pour tous.– En soignant les cœurs blessés. En résistant aux discours qui divisent et aux manipulations, – En refusant la haine. – en cultivant vos compétences pour mieux servir – Et surtout… en rappelant que l’humain ne se réduit pas à son apparence, sa religiosité ou son origine.
Louisa (avec une lueur dans les yeux) : Alors… vous nous appelez à devenir des lumières ?
Professeur Jassim : Oui, Louisa. Des lumières silencieuses mais puissantes. Des artisans de Rahma. Des ambassadeurs de la dignité. Des bâtisseurs d’âmes.
Yassir : Et si personne ne réagit autour de nous ? Si on se sent seuls ?
Professeur Jassim : N’ayez pas peur d’être seuls.
Ibrahim était seul.
Moussa était seul devant Pharaon.
Le Prophète, صلى الله عليه وسلم, quand il s'est levé face au rejet et aux persécutions, il était seul.
Mais vérité, celui qui est avec Dieu n'est jamais seul.
Soyez avec Dieu et Dieu sera avec vous.
Et sachez que chaque étincelle de lumière compte.
La lumière ne fait pas de bruit… mais elle éclaire.
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