J'avais pris l'habitude, écrit Muhammad Iqbal, de lire le Coran après chaque prière de l'aube.
Mon père me voyait et me demandait : "Que fais-tu ?"
Je répondis : "Je lis le Coran."
À plusieurs reprises, il me posait la même question, et je lui donnais la même réponse.
Un jour, intrigué, je lui fis la remarque :
"Père, pourquoi me poses-tu toujours la même question alors que tu me vois faire la même chose ?"
"Fils, je cherche à te dire : lis le Coran comme s'il t'était directement révélé !"
Depuis ce jour, je lis le Coran en me disant que c'est à moi que Dieu s'adresse et que c'est moi qui suis le destinataire du Message.
Cette manière de lire a bouleversé le regard que je porte sur moi-même et sur la création. Le Coran est devenu mon compagnon, ses signes ont éveillé mon intelligence et illuminé mon cœur.
Le conseil de mon père a été déterminant et a eu la plus grande influence sur ma vie.
Né en 1877 dans l'Inde britannique (l'actuel Pakistan), Muhammad Iqbal poursuivit ses études au Collège de Cambridge, où il publia sa thèse de doctorat.
Juriste, avocat, philosophe et poète, Iqbal est devenu un semeur d'amour et un éveilleur des consciences. Sa philosophie a été un appel aux valeurs de la morale universelle.
Tout au long de sa vie, il utilisa le Coran comme moteur pour insuffler dans l'âme du musulman le sens d'accomplir sa mission suprême dans la vie.
Pour Iqbal, le but principal du Coran est « d'éveiller chez l'homme une conscience plus élevée de ses multiples relations avec Dieu et l'univers » et de le confirmer dans le rôle qu'il doit jouer sur terre, à savoir « celui de coopérer avec Dieu pour aider l'humanité en marche ».
Dans son analyse, Iqbal reprochait aux écoles religieuses conservatrices l'excès d'interprétations simplistes et des polémiques stériles, alors même que le musulman a besoin de ce qu'il appelle "le cri de la foi", une foi qui éveille à la Présence et qui met en mouvement vers le bien :
ما في مدارسك التي ترتادهـا
إلا بحوث مغفَّـل وبـليـدِ
سرُّ الدراسة في فؤادك كامنٌ
لو كنت تحسن صرخة التوحيدِ
Dans les écoles que tu fréquentes,
tu ne trouveras la plupart du temps
qu'une production stérile et simpliste.
Le secret de la connaissance se trouve dans ton cœur,
si seulement tu maîtrisais le cri de la foi !
Il critiquait également le mysticisme passif de ceux qui négligent le monde, car d'après lui, l'homme ne peut refuser un monde qu'il doit sans cesse travailler à améliorer et à transformer, car la vie est une réalité et non une illusion.
L'islam, d'après Iqbal, n'enseigne pas la renonciation au monde, mais condamne l'attachement au matérialisme.
Pour Iqbal, ces deux catégories de lectures religieuses sont responsables de nombreux maux du monde musulman.
Ainsi, s'adressant aux musulmans, il écrivait :
« Ô toi qui es prisonnier de leur imitation, libère-toi !
Prends refuge dans le Coran et libère-toi ! »
Alors que le monde s'apprêtait à sombrer dans une seconde guerre mondiale et que la guerre civile entre musulmans et hindous couvait, Muhammad Iqbal consacra sa vie à l'écriture de livres et de poèmes.
Son objectif était de combattre la haine qui rongeait le monde de son époque et de ranimer chez les musulmans le désir de bâtir un monde fondé sur la paix, la justice, la quête de la connaissance et de la sagesse. Il écrivit :
Quand l'amour accompagne l'intelligence,
l'homme devient l'architecte d'un autre univers !
Lève-toi et dessine un monde nouveau,
unis l'amour à l'intelligence.
Et il ajouta : c'est au cours des veillées à la lumière de la lampe qu'on trouve la science, l'art et la sagesse. Nul n'a mis de frontières au royaume de la connaissance, mais on ne peut le parcourir sans une lutte continue !
Certains jeunes musulmans, malheureusement, trouvant la voie de l'effort et de la persévérance trop difficile, préfèrent parfois fuir l'école et la société.
Ils se laissent séduire par des promesses trompeuses et trouvent refuge dans des lectures idéologiques qui les transforment en simples consommateurs, sacralisant le passé sans véritable réflexion critique. Plus tard, ils se réveillent pour constater qu'ils ont perdu des années précieuses de leur vie.
Choisir soigneusement ses lectures et son enseignement religieux est donc essentiel pour éviter ces désillusions et progresser de manière constructive.
Ainsi, l'enseignement qui te donne les outils pour penser le monde et développe en toi la capacité de poser des questions est meilleur qu'un enseignement qui fait de toi un automate, une machine à enregistrer.
L'enseignement qui te relie aux questions de ta vie présente et aux problématiques de ton époque est meilleur que le programme qui te fait sortir de la réalité pour occuper ton esprit par des problèmes et des polémiques survenus dans le passé.
L'enseignement qui te convainc que l'espace de la connaissance est un vaste horizon et que tu es en mesure d'y participer vaut mieux que le programme qui te convainc que tu en es incapable ou qui pose des conditions impossibles à ta participation et ta contribution, comme s'il te disait de ne pas penser.
L'enseignement qui te convainc que tout va bien dans le meilleur des mondes alors que la réalité prouve le contraire fait partie des outils qui anesthésient l'intelligence, au lieu de contribuer à son éveil et à sa vigilance.
Lis des ouvrages qui stimulent ta capacité de réflexion, et rejoins un enseignement qui libère ton énergie, développe ton autonomie, et éloigne-toi de tout programme qui cherche à te transformer en un suiveur sans esprit critique ou en un robot sans volonté.
Commentaires